Le groupe Oracle Corporation (Oracle) a fait sensation lorsqu’il a annoncé, en septembre 2025, un partenariat de l’ordre de 300 milliards de dollars avec OpenAI. Cette alliance visait à doter ce dernier acteur de l’intelligence artificielle d’une infrastructure de cloud et de calcul massif, positionnant Oracle comme fournisseur clé de l’ère IA. Toutefois, à peine quelques semaines après l’annonce, les marchés financiers ont donné un signal fort : l’accord semble déjà « être sous l’eau ».L’annonce avait tout d’un coup de tonnerre dans l’industrie technologique : Oracle s’engageait dans un partenariat colossal de 300 milliards de dollars avec OpenAI pour fournir l’infrastructure cloud et la puissance de calcul nécessaire à la prochaine génération de modèles d’intelligence artificielle. Quelques semaines plus tard, la réalité boursière a rattrapé le géant des bases de données : selon le Financial Times, Oracle serait déjà « sous l'eau » sur ce deal monumental, sa capitalisation ayant chuté davantage que la valeur du contrat lui-même.
Le contraste est saisissant. Ce qui devait être un tournant dans la stratégie IA d’Oracle se transforme, aux yeux du marché, en pari risqué. Le deal illustre aussi les dérives possibles d’un secteur où l’ambition technologique précède parfois la prudence financière.
Un accord qui renverse les équilibres
Le contrat signé avec OpenAI place Oracle dans une position nouvelle : celle d’un fournisseur d’infrastructure hyperscale, un rôle traditionnellement réservé à AWS, Google Cloud ou Microsoft Azure. Pour répondre aux besoins d’OpenAI, Oracle doit engager des investissements massifs en data centers, serveurs spécialisés, chaînes logistiques, refroidissement, consommation énergétique et ingénierie réseau.
Pourtant, ce contrat est déséquilibré dans son architecture même. L’essentiel du risque financier pèse sur Oracle, qui doit investir immédiatement dans des capacités gigantesques sans garantie d’une rentabilité rapide. À l’inverse, OpenAI reste un client dont les revenus, bien que croissants, ne sont pas à la hauteur des montants impliqués. Le pari repose sur une hypothèse : l’IA générative connaîtra une explosion de la demande suffisamment forte pour absorber les coûts engagés.
Un marché qui sonne l’alarme
La réaction des marchés a été immédiate et brutale. La capitalisation boursière d’Oracle aurait perdu plus de 315 milliards de dollars depuis l’annonce du contrat (selon le Financial Times), dépassant ainsi la valeur totale de l’accord. Ce glissement traduit un manque de confiance des investisseurs dans la capacité d’Oracle à convertir ce partenariat en création de valeur.
L’agence de notation Moody’s s’est également alarmée du « counterparty risk » élevé : dépendre fortement d’un petit nombre de contrats géants expose Oracle à un choc majeur si OpenAI ne parvient pas à générer les revenus nécessaires. Dans un secteur aussi mouvant que celui de l’IA, où les modèles évoluent plus vite que les prévisions financières, ce risque est loin d’être théorique.
Les failles structurelles d’un pari démesuré
L’accord met en lumière plusieurs fragilités profondes dans la stratégie d’Oracle.
Le premier problème est celui de la temporalité. Les investissements pour construire, équiper et alimenter des infrastructures de calcul IA doivent être réalisés immédiatement. Les retours, eux, sont étalés sur des années, soumis aux incertitudes du marché et dépendants d’un client unique.
Le second concerne la nature même du modèle. Le cloud « IA-first » est coûteux, d’une marge parfois inférieure à celle des services logiciels classiques sur lesquels Oracle a bâti sa réputation. Passer d’un modèle à forte rentabilité logicielle à un modèle d’infrastructure lourde implique une transformation qui n’est pas neutre.
Le troisième réside dans la dépendance stratégique. Miser autant sur OpenAI revient à concentrer une part essentielle de l’avenir de l’entreprise entre les mains d’un seul acteur externe. Si OpenAI connaît un ralentissement, un pivot, ou une évolution technologique imprévue, l’impact sur Oracle serait disproportionné.
Le mirage de la course à l’IA
L’affaire Oracle-OpenAI illustre un phénomène plus large qui touche la tech depuis deux ans : une sorte de « ruée vers l’or » de l’IA où les entreprises investissent des sommes astronomiques pour ne pas rester en marge, parfois sans modèle économique clair.
Le risque est double. D’un côté, certains contrats gigantesques reposent sur une vision optimiste, voire spéculative, de l’usage futur de l’IA générative. De l’autre, cette surenchère pourrait créer une bulle de l’infrastructure IA, où la croissance de l’offre dépasse largement celle de la demande réelle.
Oracle n’est pas le seul acteur confronté à cette tension. Mais son cas devient symbolique : il illustre les limites d’une stratégie où la promesse technologique prend le pas sur les équilibres financiers. Si le contrat échoue ou se révèle moins rentable que prévu, il pourrait refroidir les investisseurs et remettre en question la dynamique d’expansion actuelle de l’IA à grande échelle.
Une leçon pour l’industrie technologique
Pour les dirigeants, les ingénieurs et les investisseurs, le cas Oracle doit être perçu comme un avertissement. L’IA générative ouvre des perspectives immenses, mais elle ne peut se développer de manière durable que si les modèles économiques suivent.
Oracle doit maintenant prouver que ce contrat gigantesque peut se transformer en valeur concrète : occupation des capacités, marges stables, diversification des clients IA, maîtrise énergétique et innovation matérielle.
OpenAI, de son côté, doit démontrer qu’elle peut générer un volume de revenus suffisant pour stabiliser ce type de partenariat.
En toile de fond, c’est toute l’économie de l’IA qui observe. Le secteur saura-t-il éviter un emballement comparable à celui de la bulle Internet ? Ou assistera-t-on à une période de correction brutale, où les investissements démesurés seront recalibrés au profit de modèles plus sobres et plus solides ?
La face cachée du pacte IA entre OpenAI et Microsoft : des répercussions potentielles sur Oracle
D’après les documents internes obtenus par le blogueur technologique Ed Zitron et cités par la presse spécialisée, OpenAI a reversé à Microsoft près d’un demi-milliard de dollars en 2024, au titre du partage de revenus, et ce montant a presque doublé en 2025. Parmi les chiffres marquants :
- 493,8 millions de dollars versés de OpenAI à Microsoft en 2024 (partage de revenus).
- 865,8 millions de dollars versés sur les trois premiers trimestres 2025.
- 20 % – c’est la proportion du chiffre d’affaires d’OpenAI que Microsoft reçoit en partage de revenus, d’après ces documents (un pourcentage non confirmé publiquement par les deux partenaires)
Ces paiements illustrent l’accord initial : Microsoft touche environ 20 % des revenus générés par OpenAI (via ChatGPT, l’API d’OpenAI, etc.), en contrepartie de son investissement massif dans la startup. En appliquant ce taux de 20 %, on en déduit qu’OpenAI aurait réalisé au minimum 2,5 milliards $ de revenus en 2024 et 4,33 milliards $ sur les neuf premiers mois de 2025. Ces estimations sont toutefois inférieures à d’autres chiffres avancés précédemment – par exemple, la presse évoquait environ 4 milliards $ de revenus en 2024 et Sam Altman, le PDG d’OpenAI, a récemment déclaré viser plus de 20 milliards $ de revenus annualisés fin 2025. Ce décalage suggère que les chiffres réels d’OpenAI demeurent incertains, ou du moins sujets à interprétation en fonction des sources et des méthodes de calcul.
Il faut noter que les flux financiers entre OpenAI et Microsoft ne vont pas dans un seul sens. Le partenariat comporte également des rétrocessions de Microsoft vers OpenAI. En effet, Microsoft reverse à OpenAI environ 20 % des revenus tirés de Bing (son moteur de recherche dopé à l’IA d’OpenAI) et de l’Azure OpenAI Service (service cloud vendant l’accès aux modèles d’OpenAI). Autrement dit, pour chaque dollar que Microsoft gagne grâce à Bing (en partie propulsé par la tech d’OpenAI) ou via les services Azure utilisant GPT-4, une part revient à OpenAI. Les documents fuités semblent d’ailleurs présenter les montants nets versés de OpenAI à Microsoft, une fois déduites ces commissions...
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